Création musicale et plagiat : un « champ de mines mélodique »* ?
Par Guillaume Marchais
A l’occasion de la récente relaxe au Royaume-Uni d’Ed Sheeran, accusé à tort d’avoir contrefait, dans son tube mondial Shape of you, une chanson intitulée Oh why, retour, forcément subjectif, sur les affaires de plagiat d’oeuvres musicales les plus retentissantes de ces dernières années, côté pop rock, jugées, transigées ou…qui auraient pu avoir lieu.
Led Zeppelin, George Harrison, The Verve, Pharrel Williams, Lana Del Rey, Katy Perry, Ed Sheeran, autant de noms d’artistes internationalement connus et aux millions de disques vendus ou, maintenant, de vues. Qu’ont-ils – à part le talent bien sûr – en commun ? Avoir été accusés de contrefaçon, on dit souvent plagiat en droit d’auteur, d’oeuvres musicales antérieures dans certains de leurs tubes (en même temps, on imagine mal des poursuites contre des chansons obscures et/ou échecs commerciaux, ça rapporterait beaucoup moins…)
Des similitudes frappantes entre des morceaux pop/rock sont souvent et aisément détectables à l’oreille de tout amateur de musique, par exemple dans une suite d’accords, sans pour autant qu’il y ait de poursuites judiciaires : réécoutez et comparez par exemple Femme libérée, de Cookie Dingler et The Passenger, d’Iggy Pop, That look you give that guy, de Eels et Le coup de soleil, de Richard Cocciante, ou encore le riff du tube Come as you are, de Nirvana et le riff quasiment identique du morceau bien plus ancien de Killing Joke intitulé Eighties…sans parler des accords et du rythme identiques du tube Sweet child o’ mine des Guns & Roses et d’un obscur morceau australien dénommé Unpublished critics (Australian crawl), à vous de juger en les écoutant…
En revanche, et de plus en plus à l’ère des réseaux sociaux, des poursuites plus ou moins fondées sont déclenchées par des artistes, parfois à juste titre (la reprise en règle et quasi intégrale par The Verve dans son tube Bitter Sweet Symphony de la version symphonique du The last time des Rolling Stones), mais souvent, il faut bien le dire, pour des motivations financières, dans l’espoir de toucher une bonne partie des profits énormes générés par les tubes argués de contrefaçon.
Tout le monde n’a en tout cas pas la classe d’un Prince qui, ayant mis un point final à son chef d’oeuvre Purple Rain et n’ayant pas la conscience tout à fait tranquille, contacta le groupe américain Journey pour lui demander si sa création n’était pas trop proche d’un de ses titres (Faithfully) – ni la classe d’un Journey donnant son aval et même sa bénédiction à Prince.
Parmi les affaires les plus médiatisées figure évidemment l’affaire mettant aux prises un obscur groupe des seventies, Spirit, et l’un des plus grands groupes de rock du monde, Led Zeppelin, accusé d’avoir reproduit, dans son tube planétaire Stairway to heaven, les arpèges et suites d’accords de son morceau instrumental intitulé Taurus, arguant notamment que ces similitudes ne pouvaient pas être le fruit du hasard puisque les deux groupes avaient brièvement tourné ensemble.
Accusé de plagiat par les ayants-droit du groupe Spirit (l’auteur du morceau, lui, n’avais pas souhaité agir de son vivant), Led Zeppelin se voit définitivement blanchi par la justice américaine en octobre 2020, après 6 années de procédure.
Les demandeurs ne prouvaient pas la similarité intrinsèque entre les quelques notes concernées de ce morceau et l’introduction de Stairway to Heaven, le coauteur et guitariste Jimmy Page affirmant que cette suite d’accords « circulait depuis toujours ». Problématique récurrente, Led Zeppelin ayant toujours reconnu s’inspirer de beaucoup de morceaux de blues préexistants.
George Harrison, ex Beatle, a eu moins de chance avec son tube My sweet Lord ; accusé de plagiat par le groupe The Chiffons ( ! ), qui s’agita car auteur de l’oublié He’s so fine dans les années 60, il fut condamné (il est vrai que les ressemblances sont frappantes), ce qui le désabusa pour longtemps, déplorant un frein à la création et que toute chanson rappelle ou évoque forcément, plus ou moins, une ou plusieurs autres oeuvres.
Condamnation également pour Robin Thicke et Pharrell Williams, coauteurs et interprètes de la chanson la plus vendue dans le monde en 2013 : Blurred lines. Les héritiers de Marvin Gaye y virent des ressemblances bien trop importantes avec la chanson Got to give it up, en particulier dans le rythme et la ligne de basse, et obtinrent des dommages et intérêts très importants, outre la moitié des profits à venir. Difficile, à l’écoute comparative des deux morceaux, de leur donner tort…
En France, c’est le chanteur Calogero qui s’est vu reprocher une contrefaçon, dans son tube Si seulement je pouvais lui manquer, d’un titre antérieur, dont il indiquait n’avoir jamais pu avoir connaissance, à savoir Les chansons d’artistes du collectif Les années Boum. Les fortes ressemblances entre les refrains ont suffi à faire pencher la balance défavorablement, la Cour de cassation confirmant le plagiat en 2016.
L’affaire opposant le groupe Radiohead à l’artiste américaine Lana Del Rey en 2018 a elle aussi fait grand bruit : il est vrai que le morceau intitulé Get Free, malgré la voix et l’orchestration caractéristiques, reprend à l’identique la suite d’accords de l’emblématique Creep, non seulement dans les couplets, mais également dans une sorte de pré-refrain ressemblant étrangement au refrain de Creep.
L’affaire s’est soldée par un accord.
On ne nous empêchera pas de penser que sur ce coup Radiohead a échappé au syndrome de l’arroseur arrosé, son tube Creep n’étant lui-même pas forcément tout blanc, demandez au groupe britannique The Hollies, auteur du morceau The air that I breathe en 1974, ce qu’il en pense…
Citons encore Katy Perry accusée de plagiat, dans son morceau Dark Horse, d’une oeuvre bien plus confidentielle du rappeur Marcus Gray, Joyful Noise. En question : l’ostinato, une rythmique réutilisée à l’infini dans Dark Horse, qui ressemblait effectivement à un thème qu’on entend dans Joyful Noise.
En appel aux Etats-Unis, en mars dernier, Katy Perry s’en sort et l’attendu suivant doit être salué : « La partie de l’ostinato de Joyful Noise qui ressemble à l’ostinato de Dark Horse consiste en un arrangement manifestement conventionnel de blocs de construction musicale. Autoriser un droit d’auteur sur cette partie reviendrait essentiellement à autoriser un monopole abusif sur des séquences de hauteurs de deux notes ou même sur la gamme mineure elle-même ».
Nous touchons là la problématique récurrente de la création musicale : l’inspiration, plus ou moins consciente, de tout artiste alors que coexistent maintenant d’innombrables chansons pop rock depuis des décennies, rendant plus risquée toute création musicale désormais. : il est normal que tout artiste se soit nourri au fil des ans de tout ce qu’il a pu entendre et que certaines notes ou suites d’accords ressortent inconsciemment et il apparaît dès lors inévitable que certains morceaux « se ressemblent » plus ou moins.
C’est la mésaventure qui est arrivée à Ed Sheeran (déjà accusé de plagiat à deux reprises précédemment, tout de même), qui fort heureusement s’en est lui aussi sorti en mars dernier face aux accusations de plagiat d’un certain Sami Chokri auteur d’une obscure chanson intitulée Oh why.
L’action du plaignant, certainement plus motivé par l’aspect financier, était fondée sur la seule présence, minime dans l’immense succès Shape of you, des onomatopées Oh i oh i oh i oh i, à quelques reprises, les deux œuvres étant par ailleurs totalement différentes.
Et les prochaines décisions Dua Lipa vont être scrutées avec attention : la chanteuse britannique est en effet assignée au Royaume-Uni par non pas un mais deux plaignants, pour la même chanson ( ! ) Levitating, gros succès de l’année 2020.
Reste que la crainte des artistes est désormais plus le risque d’être accusé de plagiat que le manque d’inspiration et qu’à l’ère des réseaux sociaux, même en l’absence de procédure judiciaire, les accusations de plagiat se multiplient et une simple accusation peut entacher à tort la respectabilité et la crédibilité d’un artiste.
* Le Monde, 27/02/2020